Chauffage nucléaire industriel et décarbonation
- Charlotte Combet
- 10 avr.
- 5 min de lecture

L’industrie européenne cherche à se décarboner, mais entre la flambée des prix de l’énergie, les incertitudes réglementaires et la concurrence internationale, les industriels peinent à trouver des solutions viables. Jimmy entend relever ce défi avec une technologie mature, inspirée du nucléaire, capable de fournir une chaleur décarbonée, stable, sûre et compétitive. Focus.
Informations Entreprise : Quels sont, selon vous, les principaux freins à la décarbonation de l’industrie aujourd’hui ?
Mathilde Grivet (Directrice du développement et cofondatrice de Jimmy) : L’un des principaux freins à la décarbonation industrielle aujourd’hui, c’est son coût. La plupart des solutions actuelles ne sont pas rentables et restent plus chères que le gaz. Cela signifie que la transition énergétique représente un investissement conséquent pour les industriels. Mais au-delà du prix, il y a aussi une problématique de mix énergétique. Historiquement, les sites industriels reposaient entièrement sur le gaz. Désormais, pour se décarboner, ils doivent composer avec un éventail de solutions en fonction de leurs besoins spécifiques : température requise, localisation, disponibilité des ressources, adaptation au profil de consommation du site, etc.
Or, cette diversité complique la prise de décision. Chaque industriel doit mener une étude approfondie pour choisir la solution la plus adaptée et viable sur le long terme. À cela s’ajoutent des incertitudes sur l’approvisionnement, comme pour la biomasse, ou encore sur la labellisation carbone des alternatives. Enfin, il ne faut pas oublier le contexte global : l’industrie européenne traverse une crise de compétitivité, rendant la visibilité à long terme encore plus incertaine.
I.E : Quelles sont les principales alternatives au gaz pour la décarbonation de l’industrie, et quelles en sont les limites ?
Mathilde Grivet : Depuis plusieurs années, la biomasse a été considérée comme la principale alternative au gaz pour la décarbonation industrielle. Son principe est simple : brûler de la matière organique pour produire de l’énergie. Mais un problème majeur demeure : il n’y a tout simplement pas assez de biomasse en France et en Europe pour couvrir tous les besoins. Le Secrétariat Général à la Planification Écologique l’a confirmé : il faudra, a minima, prioriser les usages.
Le biogaz souffre des mêmes limites d’approvisionnement et de reconnaissance réglementaire. L’électrification, avantageuse en France grâce au nucléaire, reste inapplicable à certains procédés industriels. Les pompes à chaleur sont une solution d’appoint efficace mais limitée en température. Enfin, l’hydrogène, bien que prometteur, n’est pas encore une solution viable pour l’industrie, faute de production décarbonée et compétitive.
Il n’y aura ainsi pas une unique réponse à l’enjeu de décarbonation et les industriels combineront une diversité de solutions.
I.E : En quoi la solution Jimmy répond-elle aux défis économiques et environnementaux de la décarbonation industrielle ?
Mathilde Grivet : La solution Jimmy se distingue par sa compétitivité économique : elle offre aux industriels une énergie décarbonée sans compromettre leur compétitivité. Avec un facteur d’émission de seulement 20 à 30 g de CO2 par kWh, elle est également la solution la plus décarbonée du marché, garantissant un impact immédiat sur la réduction des émissions.
Un autre atout majeur est la stabilité qu’elle procure. En signant un contrat de fourniture de chaleur sur 20 ans, les industriels bénéficient d’une visibilité totale sur leurs coûts et volumes, à l’abri des fluctuations des prix du gaz, du CO2 ou des incertitudes d’approvisionnement.
I.E : Quels sont les avantages concrets de la solution Jimmy en termes d’intégration industrielle et de souveraineté énergétique ?
Mathilde Grivet : L’un des grands avantages de la solution Jimmy est son intégration simplifiée sur les sites industriels. Son emprise au sol est inférieure à celle d’une chaudière biomasse, facilitant son installation. De plus, nous gérons l’ensemble du cycle de vie du générateur : développement, mise en service, exploitation, maintenance et démantèlement. L’industriel n’a aucune contrainte technique ni besoin d’acquérir de nouvelles compétences, il suffit simplement de raccorder notre installation à son réseau de vapeur ou d’air chaud.
Enfin, Jimmy apporte un atout stratégique : la souveraineté énergétique. Notre technologie est française et exploitée par un acteur français, ce qui garantit une indépendance vis-à-vis des tensions géopolitiques pouvant affecter le marché du gaz. En optant pour cette solution, les industriels s’affranchissent des aléas mondiaux et sécurisent leur approvisionnement énergétique sur le long terme.
I.E : Sur quelle technologie repose votre solution ?
Mathilde Grivet : Notre solution repose sur une technologie éprouvée : le HTR (High Temperature Reactor), développée dans les années 60 en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, et encore en opération en Chine et au Japon. Nous utilisons le même

principe de fission nucléaire que les réacteurs EDF, avec un réacteur à uranium produisant de la chaleur. Cette chaleur est transportée via un circuit primaire à l’hélium, puis transférée à un circuit secondaire au CO₂, qui alimente un générateur de vapeur ou d’air chaud destiné aux procédés industriels.
L’innovation de Jimmy ne réside pas dans la technologie elle-même, mais dans son usage : nous adaptons une solution existante pour fournir directement de la chaleur aux industriels. Le tout est intégré dans un générateur thermique compact de 25 mètres de côté, installé et exploité directement sur site, sans contrainte pour l’industriel.
I.E : Quels sont les secteurs industriels que vous ciblez ?
Mathilde Grivet : Nous proposons une gamme de puissance thermique allant de 10 à 60 MW, capable de produire de la chaleur jusqu’à 450°C, couvrant ainsi un large spectre de besoins industriels.
Nos clients sont principalement issus de trois secteurs clés : l’industrie chimique, où la chaleur est essentielle pour générer les réactions et transformations ; l’industrie agroalimentaire, notamment pour la cuisson, la distillation et la stérilisation ; et l’industrie papetière, où la production de vapeur est indispensable pour le séchage et la transformation des fibres.
Ces industries ont de forts besoins énergétiques et peinent à se passer du gaz. Avec notre solution, elles peuvent réduire leur empreinte carbone tout en bénéficiant d’une source de chaleur fiable et compétitive, adaptée à leurs exigences de température et de puissance. Notre solution peut être implantée pour un consommateur unique, mais peut aussi desservir les besoins de plusieurs sites industriels voisins les uns des autres, dans une logique de mutualisation.
I.E : Pouvez-vous nous donner un exemple concret de mise en oeuvre de votre solution sur un site industriel ?
Mathilde Grivet : Nous travaillons actuellement sur un projet de décarbonation pour un site industriel dans la Marne, qui regroupe une sucrerie et une distillerie. Ce site est très énergivore, notamment en gaz, malgré des efforts importants pour optimiser sa consommation grâce à la biomasse et à la récupération d’énergie.
Notre solution consiste à installer un générateur Jimmy, qui viendra progressivement remplacer une partie de la consommation de gaz en produisant de la vapeur à 450°C. Dans un premier temps, nous remplacerons environ 15% de leur consommation de gaz, avec une possibilité d’extension. Le tout sera encadré par un contrat de vente de chaleur à long terme, garantissant au client des prix et des volumes d’énergie stables et compétitifs.
I.E : Quelles sont les prochaines étapes du développement de Jimmy ?
Mathilde Grivet : Notre premier projet dans la Marne est en phase d’instruction auprès du ministère de la Transition écologique et de l’Autorité de sûreté nucléaire. Nous nous tenons prêts à le mettre en service dès accord des autorités, ce qui implique de passer les commandes auprès de nos fournisseurs et de préparer le chantier d’installation. En parallèle, nous avons une forte traction commerciale, avec des discussions avancées auprès d’industriels en France et en Europe.
Afin de construire en série ces générateurs, nous installons également notre base industrielle au Creusot-Montceau. Les travaux de construction du premier bâtiment débuteront à l’automne. Cette base industrielle est clé pour permettre l’industrialisation de notre solution.

Notre ambition est claire : déployer rapidement de nouveaux générateurs. Une fois notre premier site opérationnel, nous prévoyons de répliquer notre modèle sur d’autres sites industriels, en accélérant notre développement, tant en France qu’à l’international. L’objectif est d’apporter une solution concrète et compétitive aux industriels, tout en contribuant activement à la transition énergétique.