Formation pour l'autonomie stratégique des états
- Charlotte Combet
- il y a 3 jours
- 5 min de lecture
La guerre de haute intensité fait son retour, les menaces hybrides se multiplient, et les États cherchent à renforcer leur autonomie stratégique. Dans ce contexte instable, la formation des forces militaires et sécuritaires devient un enjeu essentiel. THEMIIS, spécialiste de l’enseignement militaire et sécuritaire, en présentiel ou en distanciel via le eLearning, accompagne depuis dix ans gouvernements et institutions dans l’adaptation de leurs cadres supérieurs aux nouveaux théâtres d’opérations. Rencontre.
Informations Entreprise : Comment le contexte géopolitique actuel influence-t-il la demande de formation dans les secteurs de la défense et de la sécurité ?
Camille Roux ( Co-fondatrice et Présidente de l’Institut THEMIIS ) : Dans le contexte actuel marqué par le retour des conflits de haute intensité et la montée en puissance des menaces hybrides et technologiques (cyberattaques, brouillage des communications, etc.), le besoin en formation dans les domaines de la défense et de la sécurité s’accroît considérablement, notamment pour les cadres supérieurs qu’ils soient civils ou militaires. La résurgence de la violence et l’évolution des menaces nous poussent à adapter en permanence nos programmes afin de répondre aux nouveaux défis stratégiques qui émergent de partout.
Nous constatons sur le terrain une demande croissante de la part des États, qui sont nos principaux clients. Nous intervenons également dans le cadre de programmes de sécurité et de développement financés par des bailleurs internationaux, comme l’Union européenne. Cette évolution traduit une prise de conscience accrue des gouvernements quant à la nécessité d’anticiper et de se préparer face aux mutations du paysage sécuritaire, qu’il s’agisse de conflits conventionnels ou de menaces hybrides et technologiques.
I.E : Comment adaptez-vous vos formations aux nouvelles formes de conflictualité, notamment à travers la digitalisation et l’intelligence artificielle ?
Camille Roux : Nous sommes une société spécialisée dans la formation en présentiel (in situ dans les pays demandeurs) et en distanciel via le eLearning pour les armées et les forces de sécurité, en particulier pour les cadres à haut potentiel. Nos programmes couvrent bien sûr les fondamentaux de la guerre conventionnelle, mais nous avons également renforcé notre approche en sensibilisant fortement sur des enjeux majeurs tels que l’intelligence artificielle, la cybersécurité et les conflits asymétriques.
Un axe clé de notre travail est d’une part le développement des compétences en matière d’analyse et de validité de l’information devenue valeur stratégique, et d’autre part dans ce que nous appelons l’action dans les champs immatériels. Ces champs désignent des espaces ou des zones d’influence non physiques mais qui peuvent avoir un impact stratégique, opérationnel ou tactique sur les forces et sur les opérations. Ils englobent la guerre de l’information, la cyberdéfense et la guerre cognitive, où la perception, la psychologie et l’information jouent un rôle déterminant.
Depuis la création de notre société, nous avons considérablement élargi ces dimensions dans nos formations. L’intégration de l’intelligence artificielle dans nos processus pédagogiques permet également d’optimiser la prise de décision des hauts cadres grâce à des simulations basées sur des scénarios dynamiques au plus près des réalités. Ces simulations offrent des approches plus immersives et exhaustives face aux défis contemporains des conflits modernes.
I.E : Comment THEMIIS accompagne-t-elle les États dans le développement de leur autonomie stratégique ?
Camille Roux : Lorsque nous avons fondé THEMIIS il y a dix ans, nous avions anticipé une évolution majeure : le besoin pour certaines nations de renforcer leur autonomie stratégique en matière de formation de haut niveau, avec une forte composante souveraineté. En clair, plutôt que d’envoyer uniquement chaque année quelques rares officiers et cadres se former à Paris, Pékin, Washington ou Bruxelles, certains États ont exprimé le besoin de développer des programmes de formation de haut niveau à domicile, adaptés à leurs spécificités nationales et à des volumes importants d’officiers à former. Aujourd’hui, le contexte international renforce cette tendance, et nous accompagnons des nations volontaires dans cette démarche, en les aidant à gagner en autonomie et en souveraineté.
Nos formations ont considérablement évolué au fil des années, car les besoins stratégiques des États pour lesquels nous travaillons ont changé. Nous ne proposons jamais un programme standardisé : chaque pays a des enjeux propres, qui exigent une approche sur mesure. Cependant, certaines tendances se dégagent nettement. Ces dernières années, nous avons observé une montée en puissance des thématiques liées aux guerres hybrides, à l’influence, à la guerre informationnelle et cognitive. Ces problématiques s’ajoutent aux fondamentaux traditionnels comme la planification opérationnelle, la planification de défense et de sécurité intérieure et la gestion de crise.
Par ailleurs, le cadre juridique de ces nouvelles conflictualités évolue également, et nous adaptons nos formations en conséquence, notamment sur les aspects légaux de la guerre de l’information, de la cyber-guerre et des opérations hybrides. Nous avons aussi intégré une dimension technologique croissante, à la fois dans les outils militaires et dans les moyens mis à disposition des stagiaires.
Enfin, nous avons enrichi notre approche par l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les processus de formation. Nous ne prônons ni un rejet ni une dépendance excessive à ces outils. Nos stagiaires travaillent avec et sans IA, afin de comprendre comment exploiter les informations qu’elle agrège tout en développant leur capacité d’analyse et de prise de décision autonome. L’objectif est de faire d’eux des acteurs stratégiques capables d’adapter leurs réponses aux enjeux spécifiques de leur pays.
I.E : Comment THEMIIS s’adapte-t-elle aux évolutions du financement des projets de sécurité par l’Union européenne ?
Camille Roux : Nous nous intégrons aux projets internationaux soit en proposant des projets nouveaux à l’Union européenne, soit en répondant à des appels d’offres liés à nos expertises. Ces cinq dernières années, nous avons constaté une évolution majeure, notamment dans le financement des projets de sécurité- développement. L’Union européenne a considérablement accru son engagement sur ces sujets, une tendance encore renforcée depuis la guerre en Ukraine, qui a marqué un tournant stratégique.
Un exemple concret est un projet que nous avons mené en Mauritanie, à la frontière malienne. Financé par l’UE, il visait à accompagner la montée en puissance du groupement nomade dans un cadre de lutte antiterroriste, tout en intégrant un volet développement (infrastructures hydrauliques, électriques, etc.). Si nous ne travaillons pas sur la fourniture de matériel létal, nous constatons un changement profond dans la posture européenne, avec une approche plus proactive en matière de sécurité et de défense.
I.E : Comment THEMIIS anticipe-t-elle la hausse de la demande en formation militaire et sécuritaire dans un contexte de tensions internationales croissantes ?

Camille Roux : La demande en formation militaire et sécuritaire, au sens large, va considérablement augmenter dans les années à venir, portée par un contexte géopolitique de plus en plus chaotique. Nos formations couvrent un large spectre, allant des opérations de paix aux opérations de haute intensité, en passant par

la reconversion des vétérans, la cyber-guerre, l’optimisation des ressources financières, logistiques et humaines tout comme les fondamentaux du droit administratif et du droit international humanitaire. Nous recrutons activement des experts praticiens – anciens militaires, gendarmes, policiers, préfets, diplomates, spécialistes en communication de crise – pour répondre à cette demande croissante. Autre évolution majeure : alors que nous étions historiquement concentrés sur l’Afrique francophone, nous recevons désormais des demandes d’États européens soucieux de moderniser leurs armées.
Nos défis futurs ? Structurer des projets de plus grande envergure, notamment via des financements européens ou des consortiums avec des partenaires français et européens, pour accompagner cette montée en puissance de la formation militaire et sécuritaire.